Parmi les pièces aimablement prêtées lors de l’exposition dédiée à la guerre 14/14 se trouvait le journal d’un Berruyer : Rodolphe Clavier.
Il s’est engagé dans l’armée comme simple militaire puis a été récompensé de la Légion d’Honneur pour sa bravoure et services rendus à la Nation. Par ses écrits il relate la vie qu’il partage avec ses hommes sur le front. Voici quelques extraits choisis à partir de la page 91 du deuxième tome.
Le 2 aout 1914 – La mobilisation générale est décrétée.
…. Puis c’est la distribution de l’armement et des munitions pour tout le monde. Jusqu’au quatrième jour, l’alimentation a été assurée par le Dépôt, ce qui nous a été d’un grand secours. Maintenant nous quittons la caserne et allons cantonner dans le voisinage : écoles, hangars, magasins vides, greniers mêmes. Et nous allons vivre avec nos propres moyens en établissant les bons nécessaires, faire la cuisine par escouade avec le matériel de campement réglementaire de campagne….
… Notre batterie de 75 s’est déclenchée, les obus passant au dessus de nous, semblent nous frôler la tête. Ce sont des obus à balles, c’est-à-dire des shrapnells, qui éclatent et crachent avec un « rrom » rageur. Les colonnes oscillent, et il y a certainement des dégâts.
Alors de l’autre côté, à son tour, l’ennemi démasque ses batteries, et les 77 fusants nous arrosent copieusement devant, sur nous, derrière. Les obus se croisent, et je pense que comme « baptême du feu, nous sommes bien servis ». Sifflements des éclats, la terre volant de toutes parts, nous couvrant en partie….
… Mais près de là, dans un petit pré, c’est un spectacle d’épouvante. Notre batterie de 75 est écrasée. Je ne sais s’il y a eu des rescapés, mais tous ceux qui sont là sont déchiquetés, dans toutes les positions : écartelés sur les affûts, enchevêtrés dans des débris de roues, corps éparpillés un peu partout. De vastes trous d’obus témoignent que ce sont probablement des 150 qui ont été envoyés là. Puis au fond de ce pré, des chevaux fous sont encore attelés à leurs caissons, mais la plupart sont sur le flanc, les jambes entortillées dans les traits, des dos brisés, des ventres ouverts !…
… Quelle misère ! Tout le personnel est débordé pour donner des soins, faire les pansements, car il y a tellement de blessés que je n’ai pu les dénombrer : des bras sectionnés, des hommes défigurés, d’autres se tenant le ventre pour retenir des lambeaux.
Beaucoup d’assis appuyés aux troncs d’arbres, blessés aux jambes, aussi des allongés, lesquels sans doute n’auront pas besoin de soins. C’est à n’y pas croire, tous ces gens là doivent dormir ! Non ! Ce sont bien des morts, étendus, éparpillés au milieu de ce champ de gerbes, des fantassins aux pantalons rouges, comme s’ils avaient été foudroyés d’un seul coup. Peut-être un Bataillon surpris par un violent tir d’artillerie bien réglé. Au moins une centaine.
Un peu d’émotion quand même !…
… Nous avons croisé là un Général de brigade à cheval avec ses officiers d’État-major, et qui regardaient cette hécatombe. Au moment de notre passage, le soleil dirigeait ses premiers rayons sur les chaumes jaunes et les gerbes dorées ainsi que sur les pantalons rouges…
… Ce n’est pas possible, mon Capitaine !
Mais si, c’est possible et vous le méritez. C’est non seulement mon avis, mais ceux également des lieutenants Martinet et Peignot. Ce sont eux qui ont rendu compte de la tenue de votre section depuis le début. C’est la première promotion de la guerre : promotion du Feu de sous-lieutenants à titre temporaire, provenant des sous-officiers…
… A la nuit, tout était relativement calme, sauf l’évacuation des blessés, dont les gémissements et les plaintes de quelques uns parvenaient jusqu’à nous. Nous étions tristes. Ma main a tremblé quand j’ai inscrit le nom du capitaine sur l’état des pertes. Tous les quatre, nous avons eu peine à grignoter quelque chose. Le lieutenant Peignot pleurait son ami et nous parlait du capitaine Deranger. Nous perdons beaucoup, non seulement le chef, mais l’homme, le meilleur des amis que j’ai connus. C’était un écrivain déjà connu, sous le pseudonyme de « Emile Nolly »….
… L’on m’enleva le brodequin et la chaussette, laquelle d’ailleurs n’est qu’un morceau de chiffon, la traditionnelle chaussette russe, bien juteuse de sang. La blessure n’est pas grave, ce qui me rassura. C’est une balle de fusil qui a passé entre deux orteils, meurtrissant et emportant la chair et un tout petit peu d’os de chacun d’eux…
… La mère et le père de Levet m’annonçaient la mort de leur fils unique, tué fin septembre en Champagne. Je suis rentré dans ma chambre afin que l’on ne puisse voir pleurer un homme…
… Nous partons en colonnes par deux, chargés comme des dromadaires : vivres, bidons pleins, munitions, et toutes sortes d’objets plutôt hétéroclites, pouvant protéger du froid, de la pluie, ou agrémenter le séjour de quatre jours aux tranchées. Mollié, qui me suit, m’a déniché une petite couverture grise je ne sais où, et l’a placée en fer à cheval au sommet de son as de carreau, déjà en hauteur.
A suivre….